Château de Rambouillet et CMN

Fondation La Marck

Soutien à des acquisitions pour le Château de Rambouillet et d'autres sites du CMN.

 

Un portrait de Joseph Fleuriau d'Armenonville par Hyacinthe Rigaud

 

Après avoir offert au Louvre en 2015 une tapisserie de Beauvais de la tenture de l’Histoire de l’Empereur de Chine, les Astronomes, issue du tissage réalisé pour Joseph Fleuriau d’Armenonville alors qu’il était Garde des sceaux, nous avons eu début 2020 l’œil attiré par un splendide portrait du même Fleuriau peint par Hyacinthe Rigaud en 1709, un portrait officiel grand format (147 x 114), longtemps gardé dans la descendance du modèle. Il était d’autant plus précieux que ses deux portraits précédents réalisés par le même Rigaud en 1692 et 1706 sont perdus. Le tableau passait le 30 janvier chez Sotheby’s New York et faire revenir en France cet élément de notre patrimoine national nous paraissait un devoir. Déception : le Louvre et Versailles auxquels nous voulions l’offrir ont déclaré forfait au motif qu’ils avaient déjà beaucoup de portraits de Rigaud.

 

Vue sur le grand canal, © Colombe Clier

 

Nous avons alors pensé au château de Rambouillet pour lequel Fleuriau s’était dépensé sans compter au début des années 1700 en créant des plans d’eau, dont un grand canal offrant une perspective étendue depuis le château, et en restructurant les jardins à la française autour de ces plans d’eau, une opération qui ne pouvait manquer d’attirer l’œil de Louis XIV et c’est ce qui arriva. A regret, Fleuriau se vit en 1706 obligé de vendre au fils naturel du roi, le comte de Toulouse, son beau domaine sans avoir eu le temps d’en profiter. Parmi ses dédommagements, il y avait la capitainerie des chasses du Bois de Boulogne, comportant jouissance du château de la Muette. Il s’y est installé après l’avoir rénové. L’un de ses aménagements les plus célèbres reste le cabinet chinois décoré par Watteau, connu par la gravure. C’est de cette époque que date le portrait de Fleuriau vendu en 2020.

 

Le château de Rambouillet étant sous la tutelle du Centre des Monuments Nationaux, son président, Philippe Bélaval, a accepté de suite notre suggestion et la fondation a participé à l’achat de l’œuvre. Seul problème : entre le délai de retour en France du tableau et sa nécessaire restauration, il n’a pas pu participer à la mémorable rétrospective Rigaud qui se préparait à Versailles avec l’assistance de la grande spécialiste du peintre, Ariane James-Sarazin. Il est maintenant installé dans le salon du Méridien, qui fait partie de l’appartement d’Assemblée à l’étage noble du château de Rambouillet.

 

Un ensemble de sièges royaux

 

En avril 2022, nous avons poursuivi dans la même voie : le 10 passait chez Osenat un ensemble unique de sièges royaux de Rambouillet (six sur les huit connus), quatre chaises et deux fauteuils, de la commande réalisée auprès de Boulard après l’achat du domaine par Louis XVI aux héritiers du comte de Toulouse en novembre 1783. Le roi avait souhaité agrandir son domaine de chasse de Saint-Hubert situé à proximité, entre le Perray-en-Yvelines et les Essarts-le-Roi. En même temps, il transférait sa résidence sur place du château de Saint-Hubert à celui de Rambouillet.
 

Nous avons donc contacté les responsables du CMN qui nous ont prêté une oreille d’autant plus attentive qu’ils préparaient un vaste programme de remeublement du château, et spécialement des appartements royaux et impériaux, après une mise en valeur du parc et de ses fabriques (chaumière aux coquillages, laiterie et ermitage). Le domaine sortait d’une mémorable exposition, Vivre à l’antique, de Marie-Antoinette à Napoléon 1er, en 2021, ce retour à l’antique ayant été initié par les directeurs des Bâtiments du roi, Marigny, puis d’Angiviller.
 

Les sièges en question ont été livrés par Boulard en avril 1784 pour remeubler le château après son rachat, le mobilier transféré de Saint-Hubert ne suffisant pas. Ils portent tous la mention manuscrite pour le roi à Rambouillet, un numéro 7 imprimé sur l’étiquette (numéro d’ordre pour la livraison) et un R surmonté d’une couronne. Ils étaient prévus pour l’appartement du roi mais si l’on se rapporte à l’inventaire de 1787, ils étaient alors soit dans le salon des jeux, soit dans l’appartement de Monsieur. Ce dernier était dans une aile détruite. Par contre, le salon des jeux existe toujours et est devenu le grand salon. On pourrait donc les y (re)placer. Ils étaient comme maintenant peints en blanc, et recouverts d’un damas à fond vert posé par le tapissier Capin.

 


 

La communication autour de cette acquisition a eu une suite heureuse : le CMN s’est vu proposer en mai une chaise de plus signée Boulard, qu’il s’est empressé d’acheter.

 

                                                                       ⁎

 

Quand le roi a acheté Rambouillet, il y a transféré sa résidence sur place et des meubles provenant de Saint-Hubert, tout en gardant ce dernier domaine, dont le château, pourtant dû à Gabriel, a été hélas laissé à l’abandon. Dans une vente Artcurial du 16 décembre 2022, nous avions repéré une rare représentation de ce château due à Thomas Compigné qui opérait au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’était un tabletier qui s’était lancé dans la production de vedute. Le procédé qu’il avait mis au point l’avait rendu fameux : il consistait à utiliser une feuille d’étain gravée et rehaussée d’or ou d’argent sur fond d’écaille, ses paysages étant ensuite coloriés. Il a représenté Saint-Hubert vu de la cour d’entrée (on trouve aussi le château vu de l’autre rive de l’étang de Saint-Hubert). Ici, et contrairement à d’autres versions, les murs, les toits et les jardins ne sont pas coloriés, seulement le ciel bleu du fond. Sans ces taches de couleur, le rendu de la gravure fait apparaître avec netteté tous les détails de la façade et c’est ce qui fait l’intérêt de cet exemplaire.

En raison des liens entre Saint-Hubert et Rambouillet, il nous a semblé que ce petit tableau avait sa place dans ce dernier château. Nous l’avons donc proposé au CMN qui a accepté sans hésiter. Il nécessite une restauration car le ciel bleu du fond est fort écaillé, mais la partie essentielle est intacte. Compte tenu de sa taille, il trouvera facilement sa place dans les accrochages.

 

                                            ⁎

 

Fin février 2023, le CMN nous a demandé de les aider à acheter un tableau représentant une des scènes du sacre de Charles X, qui passait à Grenoble Enchères le 28. Il a en effet sous sa coupe le Palais du Tau à Reims, ancien archevêché attenant à la cathédrale et transformé en musée, dont un des thèmes d’exposition est le sacre des rois de France à travers les âges. Le tableau en question, au format 76 x 112, représente la Réception des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit dans la cathédrale de Reims le 30 mai 1825 (lendemain du sacre de Charles X). Il est l’œuvre de Nicolas Gosse (1787-1878), élève de François-André Vincent. Par son sens de la mise en scène, sa touche brillante et contrastée, son graphisme net, Nicolas Gosse excelle dans la représentation de scènes de cour, de Napoléon à Louis-Philippe. Il a aussi peint de nombreux décors d’églises et de palais, et participé au grand chantier des galeries historiques de Versailles.

 

C’est justement dans ce cadre que se situe la double commande du roi à propos de la réception du Saint-Esprit : un grand format pour Versailles qui ne sera jamais livré à cause de la révolution de 1848 et un format moyen pour la collection personnelle de Louis-Philippe. C’est ce dernier qui sera vendu en 1851 après la mort du roi et que le CMN a pu préempter.

 

 

Sur le coup, nous avons accepté d’intervenir parce que cet achat avait du sens, mais sans manifester un enthousiasme excessif car les commandes de Louis-Philippe qui peuplent Versailles ne nous inspirent pas trop, même si certaines sont plus réussies que d’autres. Nous avions tort, car un examen plus approfondi allait nous réserver de belles surprises !

 

Il existe de ce tableau une version préliminaire à l’aquarelle détenue par le musée de la Légion d’Honneur. A partir des archives de Nicolas Tiolier qu’il détient, le musée a pu identifier les principaux personnages représentés. Nicolas Tiolier (1784-1843), graveur de monnaies et médailles célèbre, avait été anobli par Louis XVIII et fait chevalier de l’ordre du Saint-Esprit. A l’époque du sacre de Charles X, il en était l’huissier. On le reconnait sur la droite du tableau à la masse qu’il porte à l’épaule. Il était également le neveu par alliance de Charles-Pierre des Maisons, fils de l’architecte Pierre Desmaisons et un des ancêtres directs du mécène. C’est le moment où nous nous sommes souvenus que Charles-Pierre était lui-même chevalier du Saint-Esprit et avait été son héraut d’armes. L’était-il encore en 1825 ? L’ouvrage d’Hervé Pinoteau sur cet ordre indique qu’il a été héraut d’armes de 1819 à 1827, date à laquelle il a démissionné au profit de son fils. Il était donc en poste au moment du sacre de Charles X. Le héraut d’armes se reconnaît au bâton fleurdelysé qu’il tient à la hanche. C’est donc le personnage au premier plan à gauche et de dos.

 

Le mécène est ici quelque peu confondu d’une aussi extraordinaire coïncidence, qui l’a fait financer l’achat de ce tableau sans se douter que deux membres de sa famille y figuraient ! Ce n’est que l’étude nécessaire à la rédaction de cette notice qui l’a amené à ces découvertes.

 

                                            ⁎

 

Retour à Rambouillet en juillet 2023 : le 4, passait chez Pestel-Debord un fauteuil à la reine d’une des commandes royales faites à Boulard pour le château. Il était lui aussi marqué du R couronné. Le CMN a pu l’acquérir avec notre soutien. L’enrichissement des collections de mobilier de Rambouillet justifie une étude que le spécialiste de ces questions, Antoine Maës, fera paraître dans un prochain numéro de Versalia.

 

  

 

Direction Maisons-Laffitte en octobre : le CMN y a sous sa coupe le château de Maisons, dont le dernier propriétaire avant la Révolution avait été le comte d’Artois, qui l’avait racheté en 1777 au marquis de Soyécourt, descendant du constructeur du château, René de Longueil. Artois a commandé la même année à Georges Jacob un nouveau mobilier pour Maisons, dont trente chaises et quatre fauteuils. Ce mobilier est devenu rare et le CMN n’a pu mettre la main que sur deux chaises et deux fauteuils. Il lui était donc nécessaire de se tourner vers des équivalents. Comme il n’était pas question de choisir du mobilier de Bagatelle, lui-même en cours de remeublement, restait le château Neuf de Saint-Germain, donné par Louis XVI à son frère aussi en 1777. Artois projetait de le faire reconstruire par ses architectes Boullée et Bélanger, mais il n’a pas eu le temps de mettre ses projets à exécution. Il avait néanmoins commandé des sièges à Jacob et Nadal l’Aîné pour la partie habitable de ce château (dont ne subsistent plus que quelques restes, en bordure de la terrasse de Saint-Germain-en-Laye).

 

En 2013, le CMN avait pu acquérir une bergère à la reine provenant de cette commande et estampillée Nadal. Le 18 octobre 2023, deux chaises de Jacob pour Saint-Germain passaient chez Gros et Delettrez. Elles portent bien la marque du comte d’Artois. Nous avons pu les acquérir. Le CMN compte les placer dans le salon des jeux du château de Maisons.

 

                                           ⁎

 

En novembre suivant, le CMN s’est mobilisé pour un des rares meubles de l’hôtel de la Marine encore sur le marché qui passait le 12 décembre chez Pescheteau-Badin. Il s’agit d’une table-bureau qui était dans la chambre de madame Thierry, devant une porte-fenêtre donnant sur le côté de la terrasse du premier étage, donc avec une vue superbe sur l’enfilade des colonnes. Mais le dossier était compliqué par la provenance et les transformations subies par le meuble. Il s’agit en effet d’un meuble royal, commandé par Louis XV pour le Petit Trianon à l’époque où il abritait ses amours avec madame du Barry.

 

 

La table était alors dans une pièce d’angle de l’étage noble, dite pièce du café, parce que le roi aimait à y déguster le café qu’il récoltait dans ses serres tropicales et torréfiait lui-même. Juste derrière le lambris, une porte dissimulée permettait d’accéder par un discret escalier à la chambre de la du Barry. Ce cabinet de retraite qui n’existe plus était meublé d’une table à écrire, d’une chaise et d’un canapé. La table avait été commandée à Riesener en 1771 et était encastrée dans le lambris, avec seulement deux pieds soutenant la façade. Pour l’utiliser, il suffisait de donner un tour de clé : un mécanisme ingénieux permettait d’ouvrir le tiroir qui s’avançait entièrement ; en appuyant ensuite sur un bouton, il dévoilait trois compartiments et de multiples tiroirs dissimulés sous la tablette à écrire. Le compartiment de droite contenait un écritoire complet. Les intérieurs étaient en bois de rose massif. Ultime raffinement : la clé magique était en or ciselé et son anneau formait un médaillon de trophées d’armes et d’attributs des arts. Il s’agissait en somme d’un dispositif gain de place dans une pièce très petite.

 

 

Quand Marie-Antoinette a pris possession des lieux, elle s’est empressée de faire disparaître toute trace de la favorite. La pièce du café et le discret escalier ont été détruits, le cabinet des glaces mouvantes a pris leur place et la table est partie au Garde-Meuble. En 1786, Thierry de Ville d’Avray décide de l’utiliser pour sa femme et la fait restaurer par Guillaume Benneman. La table est dotée de quatre pieds, d’une galerie, de marqueterie sur le plateau et les côtés. Le mécanisme devenu sans objet est enlevé, mais hélas aussi tous les bronzes de Riesener. De lui, il reste l’intérieur et le décor du tiroir figurant un groupe de putti jouant et dessinant.

 

Quand le CMN a commencé à s’y intéresser, nous étions peu enthousiastes car les nécessaires restaurations avaient effacé largement la contribution de Riesener que l’apport de Benneman ne compensait pas. Il y avait en outre une sorte de hiatus entre les deux interventions. Néanmoins, son historicité pour l’hôtel de la Marine était établie et cette table donnait un bon exemple des procédés du Garde-Meuble (le ‟rien ne se perd”). Convaincus par les encouragements de différentes institutions, nous avons fini par accepter d’apporter notre écot, d’autant que la direction des Patrimoines souhaitait l’intervention d’un mécène avant de fournir la majeure partie du financement. Les responsables étaient inquiets car l’expert avait surtout insisté sur l’origine royale, mais l’argument n’a pas convaincu et l’adjudication s’est faite à l’estimation basse. Après une nécessaire restauration de l’ébénisterie, la table remplacera dans la chambre de madame Thierry l’équivalent qui y avait été installé.

 

Chambre de madame Thierry, avec une table équivalente.

 

Coïncidence étonnante : quelques jours auparavant, nous avions offert à Versailles un porte-documents aux chiffre et armes de Louis XV servant à la correspondance. Or le compartiment du milieu de la table permet de l’accueillir ! Serait-ce un miracle de plus ?

 

                                                    ⁎

 

En tout cas il y en a eu un pour l’acquisition suivante, la grande table à deux niveaux dessinée par Mallet-Stevens pour le salon de la villa Cavrois, qui manquait cruellement à cette pièce, alors que le gros du remeublement de la villa est fait. Compte tenu du prix payé de gré à gré pour deux petites tables carrées, toujours à deux niveaux, on craignait le pire. Cette table passait dans la vente Christie’s Paris du 23 mai 2024. Nous avons essayé de rassurer les responsables en disant que peut-être les marchands s’abstiendraient, se doutant que le CMN serait sur les rangs. Et c’est bien ce qui s’est passé : on est resté dans la fourchette de l’estimation. Comme pour la table de madame Thierry, il s’agit d’une participation et non d’un don de la totalité du prix.

 

 

Bien qu’ayant plus de liens avec la villa Noailles du même architecte (ses cousins Godebski la fréquentaient), le mécène reconnaît qu’à Croix, Mallet-Stevens a signé un de ses chefs d’œuvre et voir revivre la villa Cavrois est un plaisir et un grand soulagement, car on est passé près de la catastrophe au moment où elle n’était plus habitée.

 

 

 

 

 

   Fleuriau d’Armenonville

             

Fondation de Luxembourg. Tous droits réservés