Une tapisserie de Beauvais pour le Louvre

Fondation La Marck

Les Astronomes

 

Sur proposition du département des Objets d'Art du Musée du Louvre, la Fondation La Marck a accepté de financer l'achat en vente publique d'une splendide tapisserie de Beauvais, les Astronomes, issue de la tenture dite de l'Histoire de l'Empereur de Chine. La scène représente l'empereur (sans doute Kangxi) au milieu d'un groupe de savants menés par un père jésuite et entourés d'instruments d'astronomie.

 

C'est le duc du Maine, fils de Louis XIV et de Madame de Montespan, qui a commandé cette tenture d'environ neuf pièces à la suite de la visite à Versailles en 1684 des ambassadeurs du Siam, qui a fait sensation, et à celle d'un missionnaire jésuite, le père Couplet, accompagné d'un jeune Chinois converti, qui a su captiver son auditoire. Le nouveau directeur de la manufacture de Beauvais, le célèbre lissier flamand Philippe Béhagle, a été chargé de la conception et de la réalisation de la tenture, qui se révèlera un grand succès commercial avec de nombreux retissages pendant quarante ans. Et trois peintres connus ont été chargés des cartons : Blin de Fontenay, Monnoyer et Vernansal. S'inspirant des récits de voyages et des gravures qui les accompagnaient, ils nous ont livré une représentation de l'image qu'avaient les Occidentaux de l'Empire du Milieu au XVIIe siècle.

 

L'exemplaire du duc du Maine était tissé de laine et soie, rehaussé de fils d'or et d'argent. C'est sans doute ce qui a causé sa perte, de nombreuses tapisseries ayant été brûlées à la Révolution pour en récupérer les métaux précieux. Le second tissage a été acquis par le comte de Toulouse, frère du duc du Maine. Il était destiné au château de Rambouillet que le comte avait acheté en 1706 au conseiller d'Etat Joseph Fleuriau d'Armenonville pour 500.000 livres plus la capitainerie des chasses du bois de Boulogne. Il faut dire que ce dernier était tombé en disgrâce et que Louis XIV l'avait pressé de vendre à son fils légitimé son domaine de Rambouillet, qu'il venait pourtant d'acquérir auprès d'une famille alliée, les Crussol d'Uzès, et où il avait commencé d'importants travaux.

 

Fleuriau a fait contre mauvaise fortune bon cœur, s'est installé au château de la Muette, résidence du capitaine des chasses, puis, à la demande du Régent, l'a échangé contre une partie de celui de Madrid en 1716, et il a fait édifier vers la porte Maillot un pavillon de chasse devenu par la suite célèbre. Après être revenu en faveur sous la Régence, il a été nommé Garde des sceaux en 1722. A cette occasion, la compagnie des secrétaires du Roi lui a offert un tissage de cette tenture, facilement reconnaissable à cause des armoiries qui figurent sur chacune des pièces, entourées des insignes de sa charge. C'est à cette série recherchée (la plupart sont anonymes) qu'appartient la présente tapisserie.

 

Cette acquisition va permettre au Musée de remplacer dans le cabinet chinois les tapisseries des Gobelins de la tenture de Don Quichotte qui y avaient été installées provisoirement, sachant qu'une deuxième tapisserie de l'Histoire de l'Empereur de Chine la rejoindra après restauration. Elles seront donc en adéquation avec le reste du décor, qui montre l'importance des chinoiseries dans les arts décoratifs du XVIIIe siècle. C'est ainsi le thème choisi par Giovanni Scajario pour le plafond peint qui provient d'un des palais Pisani à Venise. Le mobilier fait bien sûr la part belle aux laques, avec en place d'honneur une resplendissante commode en laque de Coromandel réalisée par Jacques-Philippe Carel. Sur les meubles sont exposés quelques uns des vases de Chine montés de la riche collection du département. Les feux, l'écran en tapisserie de Beauvais, utilisent la même source d'inspiration. Enfin, les murs sont recouverts d'un tissu à motifs chinois réalisé à partir d'un échantillon d'origine lyonnaise conservé au musée des Arts décoratifs.

 

La tapisserie les Astronomes fera aussi le lien avec la salle voisine où le Louvre expose sa collection d'instruments scientifiques, car le savant qui discute avec l'empereur de Chine tient un compas et est entouré d'une mappemonde, d'un télescope, d'une sphère armillaire et d'une longue-vue. En réalité, depuis le début du XVIIe siècle, une direction de l'astronomie fonctionnait à Pékin dont les responsables ont été des jésuites. On reconnait sur la tapisserie l'un d'entre eux, le père Schall von Bell, portant sur la poitrine un plastron carré dit bu zi, petit anachronisme, car il était mort quand Kangxi a pris le pouvoir.

 

Le message des Astronomes n'est pas seulement scientifique, il est aussi politique : il vise à justifier les échanges avec l'Empire du Milieu que veut promouvoir Louis XIV, qui va envoyer en 1685 une nouvelle mission au Siam et à Pékin, composée de six pères jésuites. D'une façon plus générale, la tenture de l'Histoire de l'Empereur de Chine, dite première suite chinoise (il y en aura une seconde, plus fantasmée, sur des cartons de Boucher dans les années 1730) contient un second message, encore plus politique : un parallèle entre Louis XIV et Kangxi, deux monarques absolus mais éclairés...

 

Petit clin d'œil de l'histoire : quand Fleuriau s'est installé à la Muette, il y a mené une vie très mondaine et reçu la famille royale après avoir rénové le château. C'est à lui que l'on attribue la création d'un cabinet chinois, l'un des plus célèbres puisque c'est Watteau qui l'a décoré de trente petits tableaux représentant des personnages, gravés à l'initiative de Jean de Jullienne à l'époque où le roi était devenu propriétaire de la Muette. Il en subsiste quelques éléments.

 

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En mars 2018, la tapisserie a fait le voyage d'Abu Dhabi. Elle avait été en effet sélectionnée par Catherine Hofmann, conservatrice en chef à la BNF, pour l'exposition Globes : le Monde en sphères, qui a eu lieu au Louvre Abu Dhabi de mars à juin. Cette exposition était consacrée à l'évolution de la conception de l'univers depuis l'antiquité, et à ses représentations, globes terrestres, globes célestes et  sphères armillaires, étant entendu qu'à l'origine, la forme sphérique de la terre n'allait pas de soi. C'est dans le monde mésopotamien que ce modèle a été conçu et les astronomes arabes ont joué un rôle clé dans son développement. Ensuite, ceux de l'Occident ont pris le relais. L'installation à Abu Dhabi de cette exposition était donc pleinement justifiée.

 

La tapisserie les Astronomes, où figurent entre autres un globe terrestre et une sphère armillaire, était en place d'honneur. Elle témoigne de la propagation du savoir de l'Occident vers l'Extrême-Orient ; on y voit en effet une équipe de savants jésuites qui initie à l'astronomie l'empereur de Chine.  Sur les 160 œuvres présentées (œuvres d'art et instruments scientifiques), treize avaient été sélectionnées pour l'excellent guide pédagogique que la BNF avait préparé, dont la tapisserie.

 

 

Lien vers le site du Louvre d'Abu Dhabi - Exposition "Le Monde en sphères"

https://www.louvreabudhabi.ae/fr/art/exhibitions/globes-visions-of-the-world

LES ASTRONOMES

Tapisserie de la tenture en six pièces tissée pour

Joseph-Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville (1661-728), Garde des sceaux.

Manufacture de Beauvais, 1722-1724.

 

 

Armes de Fleuriau d’Armenonville figurées au bas de la tapisserie,

ceintes des colliers des ordres du Roi et surmontées de la cassette

et des masses des gardes des sceaux

             

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