Dons à la BnF

Fondation La Marck

Dons récents à la Bibliothèque nationale de France.

 

Cela faisait des années que nous rencontrions la BnF au détour de nos projets. Ainsi, la tapisserie les Astronomes offerte au Louvre lui a été prêtée dans le cadre de son exposition Le Monde en sphères, à Abu Dhabi puis sur le site de Tolbiac. Et quand nous avons offert un coffret orné de xylographies à Cluny, il a été convenu que ce musée pourrait le prêter à la BnF à sa demande, car cette dernière aurait bien aimé l’acheter pour elle-même. Dans plusieurs expositions que nous avons soutenues, on retrouvait cette grande maison…

 

Un premier pas dans les relations directes a été franchi avec notre participation à la souscription lancée pour le bréviaire de Charles V à l’automne 2023, dont la fondation a été un des principaux mécènes. Il s’agit d’un bréviaire à l’usage de la Sainte-Chapelle réalisé pour Charles V vers 1370 et qui faisait partie de la bibliothèque royale installée au Louvre peu avant. Elle était riche de près de mille volumes, dont 185 ont été retrouvés ; la BnF en conserve 84. Le bréviaire en question est une sorte de calendrier des messes des défunts rois et reines de France, ainsi que des fêtes liturgiques associées à la couronne et de celles des saints à l’usage de Paris. Il contient 33 miniatures et de nombreuses lettres ornées, attribuables principalement au maître de la bible de Jean de Sy, dont on connaît une quinzaine d’œuvres, et à un second enlumineur, le maître du livre du sacre de Charles V.

 

© Anthony Voisin / Photo Synthèse / BnF

 

L’histoire du livre reste à établir pour les deux siècles suivants. On sait juste qu’il réapparaît au début du XVIIe dans la bibliothèque de César de Vendôme, fils légitimé d’Henri IV, au château d’Anet. Comme on doute qu’il provienne de Diane de Poitiers, il pourrait avoir été apporté par l’épouse du duc de Vendôme, Françoise de Lorraine, duchesse de Mercœur. On sait en effet que les princes de Lorraine étaient d’éminents bibliophiles. Après la dispersion de la bibliothèque d’Anet en 1724, il se retrouve en Angleterre où il reste jusqu’à une date récente.

 

Hors l’intérêt incontestable de cette acquisition pour la BnF, le mécène était motivé par le fait qu’il descend de Charles V et de plusieurs de ses grands officiers appartenant à la famille Braque.

 

 

Puis en décembre de la même année, les liens ont été consolidés par l’établissement d’une convention triennale avec la BnF qui concernera le département des Manuscrits (pour les manuscrits occidentaux), le département des Monnaies, médailles et antiques, le département des Estampes et de la photographie (pour la seule Renaissance) et la Réserve des livres rares.

 

Par anticipation sur sa signature, un premier achat du 24 novembre pour le département des Monnaies, médailles et antiques a été pris en charge par la fondation. Il s’agit d’une plaquette en bronze de la Renaissance italienne, fin du XVIe, 12,5 x 10,3, représentant la Vierge assise avec l’Enfant Jésus debout sur sa cuisse. En haut à gauche, l’inscription LORITO, variante pour Loreto, ce sanctuaire bien connu qui a attiré les foules après le transfert des restes de la maison de Marie de Nazareth à la côte adriatique des Marches. La plaquette nous montre la Vierge assise sur le toit de la Sainte Maison. Il existe aussi des sculptures la représentant dans la même position.

 

 

Cet exemplaire manquait aux collections de la BnF, pourtant riches en représentations de la Vierge à l’Enfant du XVIe siècle italien. Son style la rapproche des productions d’ateliers comme ceux de Jacopo Sansovino, Andrea Sansovino ou Aurelio Lombardi. Elle a été très finement reciselée et l’inscription inhabituelle LORITO la rend très rare. Elle devait servir de baiser de paix.

 

 

Le 24 janvier, dans une vente Giquello, le département des Monnaies, médailles et antiques avait repéré un petit médaillon de la Renaissance : à l’avers un double portrait de Charles Quint et Philippe II d’après un camée de Leone Leoni qui est au Met, au revers un autre double portrait mais qui semble inédit d’Henri II et François II. Nous n’avons pas pu l’avoir par suite d’un emballement des enchères. Par contre, nous avons pu acheter une plaquette ovale en bronze doré représentant sainte Lucie dans un encadrement de cuirs découpés, de fruits et de têtes d’angelots. Il s’agit d’un exemplaire non répertorié d’une série avec le même encadrement, dont la BnF possède déjà une Trinité et une sainte Marguerite. On retrouve ces plaquettes dans le décor d’une cloche réalisée par un atelier de fondeurs véronais connus en 1617, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils soient à l’origine du modèle.

 

 

En tout état de cause, comme compléter les séries est une priorité pour tous les musées, la BnF ne pouvait pas laisser passer cette occasion, d’autant que cette sainte Lucie pour être inédite doit être très rare.

 

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Dans une vente du 12 mars 2024 chez Thierry de Maigret, nous avons repéré un ouvrage susceptible d’intéresser la Réserve des livres rares. Il s’agit d’Heures à l’usage de Besançon imprimées pour Guillaume Godard, libraire sur le Pont au Change devant l’horloge du Palais(1), c1520, in-4 maroquin brun, tranches dorées. La reliure à la fanfare est de la seconde moitié du XVIe siècle. Le texte en caractères gothiques, en latin et en français, avec initiales peintes en rouge et bleu, est orné d’une figure anatomique (celle de l’Homme astronomique) et de seize grands bois gravés (il en manque un, représentant l’arrestation du Christ). Une large bordure ornée encadre chaque page.

 

    

 

La Bnf possède plusieurs éditions des Heures à l’usage de Besançon, mais toutes en plus petit format et d’autres éditeurs (Simon Vostre, in-8, Didier Maheu, in-12). Cette édition de Guillaume Godard est très rare, connue jusqu’ici à deux exemplaires, l’un conservé à Poitiers, l’autre à Milan, présentant l’un et l’autre des incomplétudes. La belle suite de gravures sur bois n’est cependant pas originale : les trois figures de l’Arbre de Jessé, de la Trinité et de la Vierge des litanies sont, comme celle de l’Homme astronomique, copiées d’après des compositions du Maître de l’Apocalypse ; les autres, d’une très belle facture, sont une copie d’une série de quatorze planches que Jean Pichore avait dessinées pour le libraire Simon Vostre vers 1508 (série dont la BnF conserve plusieurs exemplaires, dans différents livres d’heures publiés par Vostre entre 1508 et 1515 environ). Cette copie de même format a été réalisée pour le grand libraire parisien Antoine Vérard. Elle a ensuite été utilisée par Guillaume Godard. Or la BnF ne possède de l’édition de Vérard que six des quatorze bois de la suite Pichore, alors que l’exemplaire qui passait en vente le 12 mars en possède treize, d’où son intérêt pour la Bnf. Jean-Marc Chatelain, directeur de la Réserve des livres rares, a donc ratifié son acquisition.

 

Il est à noter que l’ajout de bois gravés du Maître de l’Apocalypse (ainsi appelé parce qu’il a dessiné la rose de l’Apocalypse de la Sainte-Chapelle à la fin du XVe siècle) n’est pas une initiative de Guillaume Godard : ses deux prédécesseurs, Antoine Vérard et Simon Vostre avaient aussi utilisé le procédé. Ainsi, dans les Heures à l’usage de Paris publiées par Simon Vostre vers 1510 (Lacombe, no 217), il y a un bois du Maître de l’Apocalypse (l’Arbre de Jessé) et seulement huit de la suite Pichore.

 

(1) Clin d’œil de l’histoire : 250 ans après, l’architecte Pierre Desmaisons, ancêtre du mécène, a entièrement remodelé le quartier. On lui avait confié le difficile chantier de la reconstruction du Palais de Justice après l’incendie de 1776. On y a ajouté la rectification de la voirie avec démolition des maisons qui s’étaient agglutinées autour du Palais. Mais il a refusé de suivre les préconisations de son prédécesseur qui prévoyait des démolitions plus radicales et sauvé les quatre tours emblématiques du quai de l’Horloge.

 

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Le 20 mars suivant, la conservation du département des Estampes nous a demandé de les aider à acheter un dessin de Toussaint Dubreuil qui passait chez Christie’s. Sa particularité : il s’agit d’un dessin préparatoire à la gravure, et justement, la BnF possède déjà la gravure en question. Ce type bien particulier de dessin se reconnaît à son revers colorié ou noirci, avec de fines incisions au stylet qui vont guider la main du graveur. Le dessin en question, 19 x 33 cm, fait partie d’une série sur les quatre éléments, dont seuls deux sont connus par la gravure, celui-ci, le Feu, et la Terre. Toussaint Dubreuil a choisi la forge de Vulcain pour représenter le feu. Les estampes de la série ont été gravées vers 1610 à l’eau-forte et au burin par Gabriel Lejeune et Pierre Vallet. La Terre porte la mention TDubreuil inv. Bien que le Feu ne porte pas cette mention, il a été clairement identifié par Dominique Cordellier comme de Toussaint Dubreuil, en particulier à cause de son usage typique des hachures. C’est une redécouverte ; il était passé chez Artcurial en 2016 sans attribution autre qu’école de Fontainebleau mais avec une précision qui laisse rêveur : selon l’expert, il existait dans ce château un plafond peint sur le même sujet, attribué au XVIIe siècle à Primatice...

 

 

Il s’agit en fait de la seconde école de Fontainebleau, dont Toussaint Dubreuil (1561-1602) était un des deux principaux représentants avec Ambroise Dubois. Il a joué un rôle important dans la décoration des palais royaux, au Louvre, à Fontainebleau et à Saint-Germain. Malheureusement, peu de ses décors nous sont parvenus intacts. Il reste très rare en peinture comme en dessin. Seulement quatre de ses dessins d’attribution assurée sont passés en vente ces dernières décennies, chez Delvaux, Sotheby’s et Christie’s. Ils ont fait respectivement 56.000, 27.000, 21.000 et 89.000 euros. Autant dire qu’une adjudication à 6.000 euros fut une divine surprise pour nous. Il reste donc à ce stade deux gravures et trois dessins préparatoires de la série à trouver…

 

Le dessin passé chez Delvaux était une très belle Étude d’homme. La conservation de la BnF nous en a montré un autre de la même veine (un nu masculin) de grand format et encore plus spectaculaire, qu’elle a la chance de détenir dans ses collections.

 

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Le 30 mai 2024, dans une vente de Baecque riche en incunables, nous avons pu acquérir un « livret d’étudiant », in 4 o de 142 pages, reliure en vélin ivoire d’époque mais fort délabrée. Il comprend dix textes d’auteurs anciens (Juvénal, Ausone, Virgile, Martial, Horace) imprimés entre 1552 et 1561 dans divers ateliers parisiens. Toutes ces impressions étaient inconnues à ce jour.

 

Ces ancêtres des manuels scolaires sont devenus très rares et recherchés par les bibliothèques publiques. Ceci explique une adjudication à dix fois l’estimation de départ, il est vrai très modeste.

 

 

Début juin, une découverte majeure nous attendait au détour d’une vente niçoise chez Millon Riviera : un manuscrit du dictionnaire abrégé touareg-français auquel Charles de Foucauld avait travaillé pendant des années dans son ermitage de Tamanrasset, et qui fait encore référence ! Nous avons immédiatement prévenu le directeur du département des Manuscrits qui a accepté sans hésiter de tenter de l’acquérir avec préemption. Joie immense quand le marteau s’est abaissé et que la préemption a été annoncée, aussitôt suivie d’une salve d’applaudissements de la salle ; fait rare, toute l’équipe du commissaire-priseur s’est jointe à ces applaudissements.

 

 

Nous y tenions en particulier en raison des multiples liens avec le saint homme. D’abord, il était né dans l’hôtel Mennet, place du Broglie à Strasbourg, où résidaient alors ses parents, et l’hôtel voisin, dit hôtel de la Marseillaise, était alors à la famille du mécène. A cette famille appartenait le professeur Gabriel Tourdes. Après la défaite de 70, Gabriel Tourdes était parti pour Nancy où l’attendait un poste de doyen de la Faculté de Médecine, et y avait retrouvé les Foucauld. Son fils du même prénom était alors devenu un ami intime de Charles et, on peut le dire, un ami de toute une vie. C’est l’un des trois amis (avec le général Laperrine et Henry de Castries) dont la correspondance avec Charles de Foucauld a été publiée. Par la sœur et héritière de Gabriel junior, les précieuses lettres étaient arrivées aux Solente, dont le docteur Gabriel Solente que nous avons eu chance de connaître. Et, comme le monde est petit, ce docteur avait une sœur Suzanne, conservatrice au département des Manuscrits occidentaux de la BnF !

 

Par ailleurs, Charles de Foucauld avait eu un disciple, Louis Massignon, devenu un ardent défenseur de l’indépendance du Maroc. C’est lui qui avait inspiré la création du comité France-Maghreb fondé après la seconde guerre pour défendre cette cause. Et au sein de ce comité, on trouvait un oncle du mécène, Aimery Blacque-Belair, à l’époque directeur du tourisme à Rabat, et son fils Patrice, petit frère de Foucauld !

 

Le père de Foucauld avait commencé ses recherches linguistiques à Beni Abbès et la rédaction de son dictionnaire à Tamanrasset où il était arrivé en août 1905. Il était aidé dans cette tâche par le linguiste Adolphe de Motylinski, de Constantine. Mais ce dernier est mort prématurément en 1907. Le résultat de leurs travaux a été publié en 1908 à Alger par René Basset sous le titre Grammaire, dialogues et dictionnaire touaregs. Par discrétion, Foucauld n’a pas voulu que son nom figure sur la couverture. Après la mort de Motylinski, Foucauld a continué son travail sur le dictionnaire avec René Basset, qui était un spécialiste des langues arabe et berbère. Il lui envoyait régulièrement l’avancement de son travail, dont il gardait par prudence une copie dans des cahiers. Une édition du dictionnaire abrégé paraîtra après la mort de Foucauld et sous son nom en 1918-1920. René Basset en était l’éditeur scientifique.

 

Le manuscrit que nous avons pu acquérir a été retrouvé par la mission militaire envoyée d’Alger par le général Laperrine dès qu’il a appris la mort du père, avec à sa tête le capitaine de La Roche. Arrivé le 21 décembre à Tamanrasset (Foucauld était mort le 1er), le capitaine note dans son rapport : Toute la bibliothèque et tous les papiers avaient été éparpillés dans la pièce qui servait de chapelle et de chambre. Saisissant ! Vestiges de cette tragédie, les cahiers du manuscrit ont été ramenés à Alger et remis au commandant Tassoni, officier interprète du général Laperrine. Il les a confiés à un relieur qui les a réunis en un seul volume de 254 pages d’écriture très serrée (pour économiser le papier). La reliure pleine basane a ses plats et son dos ornés d’un décor mosaïqué évoquant des motifs touaregs. C’est la descendance du commandant qui s’est séparée du manuscrit à la vente de Nice.

 

Comme la BnF Manuscrits a un fonds touareg, cette acquisition y aura une place toute trouvée. Le reste des manuscrits du père de Foucauld a été remis par André Basset, fils et continuateur des travaux de René Basset, à la BULAC (Bibliothèque universitaire des langues et civilisations). C’est à André Basset que l’on doit l’édition définitive du dictionnaire touareg-français en 1951, sortie des presses de l’Imprimerie nationale.

 

Le 26 juin 2024 chez Giquello avait lieu une vente de haute époque des plus intéressantes, qui nous a amenés à proposer douze lots à cinq musées. La BnF avait déjà les médailles que nous avions sélectionnées mais a retenu le baiser de paix au motif du Trône de Grâce (Trinity). A vrai dire, nous l’avions en premier proposé au Louvre car son alter ego y était : une Pieta, avec le même riche encadrement et l’inscription PAX VOBIS. Mike Riddick y voit la main d’un suiveur de l’orfèvre Antonio da San Marino qui travaillait pour le Vatican et les date du milieu du XVIe siècle. Il en cite un troisième de la même série : la Résurrection, en mains privées : https://renbronze.com/2021/04/26/metalwork-in-the-ambit-of-raphael/

 

 

Malgré l’intérêt pour le Louvre, ce dernier a décliné la proposition, car il en a beaucoup qu’il n’expose pas. Il est vrai aussi que sa Pieta est dans un triste état de dorure : https://collections.louvre.fr/recherche?q=OA+2543

 

La BnF par contre a accepté sans hésiter car elle n’a aucun exemplaire de cette série mais elle est plus prudente sur l’attribution. Des quatre que nous avons pu voir (Mike Riddick cite un autre Trône de Grâce), c’est l’exemplaire dont la dorure est dans le meilleur état, un prodige si l’on pense aux manipulations auxquelles ces objets étaient soumis et à la lente oxydation dont ils ont été victimes après avoir été délaissés, sans compter les astiquages abusifs.

 

             

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