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Dans la vente Artcurial du 26 novembre 2024 figurait une Pieta attribuée à Charles Le Brun qui nous a littéralement subjugués. Il s’agissait d’un petit format peint sur cuivre qui était présenté comme pouvant être un modello d’un plus grand tableau du musée de Dijon, le Christ au linceul, qui a été très vilainement coupé horizontalement à une date indéterminée (d’après Constance Hallier, ce pourrait être après son dépôt par le Louvre !), de sorte que la tête de la Vierge a disparu et son corps obscurci pour masquer ce forfait, si bien que la main du Christ qu’elle tient apparaît comme en lévitation dans le tableau de Dijon. Ce dernier mesure 76 x 162, et autour de 110 en hauteur avant amputation.
Nous étions déterminés à faire entrer ce tableau aux qualités si criantes dans les collections publiques. Versailles est le sanctuaire de Le Brun et le Louvre en a un grand nombre. Nous avons donc demandé la permission de consulter le responsable du grand département, Nicolas Milovanovic, qui se trouve être un spécialiste de Le Brun et a organisé en 2016 une grande rétrospective sur le peintre au Louvre-Lens. Il était d’accord sur les qualités du tableau et donc soutenait notre démarche. Il s’agissait de choisir un musée de province désireux de renforcer ses collections du XVIIe. Il a proposé Strasbourg qui l’avait repéré et le voulait. Mais ces derniers n’ayant plus de fonds pour préfinancer ont posé comme condition que la fondation achète le tableau, ce qui lui est interdit par ses statuts. On s’est donc tournés vers Orléans et le conservateur Corentin Dury n’a mis que quelques minutes pour se décider. Il n’avait pas de problèmes avec sa tutelle pour le préfinancement et pouvait préempter. L’adjudication se fit sans trop de concurrence et dès que la nouvelle fut connue, les messages de félicitations ont afflué à Orléans.
Mais ce tableau est un peu une énigme : il n’a jamais été gravé et aucun mémorialiste n’en parle. Seul guide : le tableau de Dijon avec lequel il a un lien indéfectible. Mais était-ce bien son modello ? Eric Turquin a pris ses distances : ce n’est pas lui qui l’a décrit mais les jeunes femmes d’Artcurial. La réponse, nette, est venue de Nicolas Milovanovic : sûrement pas un modello mais une réplique autographe portable (35 x 46), ce qu’on appelle un tableau de dévotion ! Il est de fait qu’on n’utilise pas généralement un support aussi précieux que le cuivre pour peindre un modello et le tableau n’a rien d’une esquisse, au contraire : Sur le cuivre, la musculature est moins massive, moins noueuse et le visage présente une expression plus grave qui semble moins maladroite, écrit Constance Hallier dans un mémoire sur les peintures de Dijon.
Ce cuivre a été découvert et attribué à Le Brun par Jacques Thuillier en 1968 alors qu’il était à la galerie Heim ; c’est le même Jacques Thuillier qui avait organisé une grande rétrospective Le Brun à Versailles en 1963. Le parcours du tableau de Dijon est plus chaotique. A la Révolution, il a été en principe saisi à Saint-Germain l’Auxerrois et remis par Lenoir au Muséum central. A l’époque, il est attribué à Simon Vouet. En 1803, il est déposé à Dijon et doit être encore entier puisqu’une copie en est faite pour l’hôpital d’Arnay-le-Duc (disparue depuis). Il faut attendre 1934 pour voir rejetée l’attribution à Simon Vouet dont il n’a ni le chromatisme brillant, ni tout à fait l’élégance formelle (Gilles Chomer). Mais qui en était l’auteur ? On a cité Blanchard et Perrier avant de se fixer sur Le Brun. Le nom de Le Brun s’est imposé en 1968 quand est réapparue la version sur cuivre où la composition, complétée par la silhouette grave de la Vierge, retrouve une tension dramatique étrangère à la vision plus souple de Vouet mais qui correspond pleinement à ce qu’on sait du tempérament de Le Brun, écrit Gilles Chomer (BSHAF 1977, publié en 79).
Les spécialistes s’accordent pour dater le tableau de Dijon de 1639-40. A l’époque, Le Brun est depuis plusieurs années sous la protection du chancelier Séguier, qui le loge, le fait travailler pour lui, le met en contact avec Richelieu ou Simon Vouet et va lui payer son voyage à Rome à partir de 1642. Il serait donc tentant de voir dans le chancelier Séguier le commanditaire du tableau de Dijon. Mais on sait qu’à Rome en 1644, Le Brun peint une autre Pieta pour Séguier (146 x 222), aujourd’hui au Louvre et inspirée peut-être de celle d’Annibal Carrache qu’il a pu voir sur place. Mais alors qu’on était habitué à la représentation d’un visage de la Vierge plein de douceur (Pieta d’Orléans ou Descente de croix de Rennes ci-contre), on remarque ici que la Vierge a un visage très masculin et dur, une jambe gauche démesurée, et qu’elle tire sur le linceul dans un geste maladroit qui n’a rien à voir avec la douloureuse compassion qu’elle manifeste en étreignant la main de son Fils et en fixant son visage dans le tableau de Dijon. Sans doute Séguier s’est-il satisfait de cette seconde composition puisqu’il l’a gardée toute sa vie, mais c’est avant tout la première qui dans son agencement procure un choc émotionnel.
Quand il peint le tableau de Dijon, Le Brun travaille dans l’atelier de Vouet et celui-ci reçoit en 1639 une importante commande royale pour les oratoires du château de Saint-Germain : il s’agit d’une série sur la vie du Christ dont on n’a pas la liste des sujets et seulement retrouvé trois tableaux qui sont censés s’y rattacher, deux au musée Quesnel-Morinière à Coutances, une Cène et un Christ au jardin des Oliviers, un au Louvre, le célèbre Christ à la colonne. Les deux premiers sont bien donnés à Vouet mais ne sont pas d’une qualité transcendante (à moins d’avoir été mal restaurés). Le troisième est, lui, d’une grande qualité d’exécution et sa composition montre l’influence du Caravage de Rouen mais il a été l’objet de controverses sur son attribution : Vouet, bien sûr, puisque la commande lui était adressée, mais aussi deux de ses assistants, Le Sueur et Le Brun. Lorenzo Pericolo voit une certaine parenté dans le traitement du corps avec les deux Pietas de Le Brun, et le donne donc à ce dernier. Le Louvre préfère garder une attribution à l’atelier de Vouet, ce qui n’exclut pas une intervention de Le Brun sur le corps du Christ. La question est de savoir si Vouet a pu fournir à Saint-Germain une Pieta entièrement peinte par Le Brun.
Reste une dernière hypothèse, la plus simple : une commande royale, mais pour l’église Saint-Germain l’Auxerrois, qui était, rappelons-le, la paroisse du Louvre, avec son banc royal créé pour Louis XIV. C’est celle que privilégie Gilles Chomer. En ce cas, le tableau n’aurait pas bougé jusqu’à la Révolution. En l’état actuel de la recherche, Bénédicte Gady voit dans le Martyre de saint Jean l’Évangéliste à la porte Latine (282 x 224) le premier tableau d’autel réalisé par Le Brun, mais sa datation est très proche (circa 1641) et ses dimensions imposantes n’excluent pas une commande antérieure non pas pour un maître-autel mais pour une des chapelles de Saint-Germain l’Auxerrois, qui en ferait, écrit Gilles Chomer, un des premiers tableaux d’autel de Le Brun.
Si l’on en revient au cuivre offert à Orléans, il est regrettable que la pratique des répliques par Le Brun n’ait pas été plus étudiée, alors que pour Rigaud et Nattier on sait tout ou presque des rites de l’atelier. Pour Nattier en particulier, l’importance du destinataire commandait la taille de la peinture et le degré d’intervention du maître. Si Le Brun n’a pas eu d’atelier à ses débuts, il a commencé assez tôt à répliquer ses œuvres. La Pieta Séguier a ainsi sa réplique au musée de Tachkent (fonds Romanov) et si sa qualité la fait passer pour autographe, son format est moindre. Il y aurait encore deux exemplaires de cette Pieta perdus, dont celui pour la chapelle de l’Hôtel-Dieu. Pour un autre des tableaux peints à Rome, la Descente de croix, on en connaît quatre versions plus une réduite, et encore, selon Jennifer Montagu et Bénédicte Gady, aucune n’est l’original qui était beaucoup plus grand (B. Gady, l’Ascension de Charles Le Brun, p. 141).
Un cas maintenant célèbre est celui du Christ au jardin des Oliviers, un tondo grand format peint vers 1660, une affaire à laquelle le mécène fut étroitement impliqué lors de sa vente le 12 novembre 2015 (photo ci-dessous, droite). Nous l’avions en effet repéré et considéré comme sans doute autographe. Il mesurait 138 cm. Versailles en a refusé le don. Le MNHA Luxembourg a accepté de prendre le risque avec notre soutien malgré l’absence de préemption. La veille de la vente, nous avons été prévenus par le cabinet Turquin d’une découverte importante de Nicolas Milovanovic : l’original était au Louvre en bien piètre état, couvert de patchs et presque illisible.
Tout est parti d’une commande à Le Brun par la marquise du Plessis-Bellière, grande amie de Fouquet, dans laquelle il y avait un Christ au jardin des Oliviers de format presque carré, admiré par Mazarin à qui Le Brun l’avait montré. Le cardinal voulut le garder et persuada la marquise de se contenter d’une réplique. C’est celle-ci que Nivelon, qui raconte l’histoire, qualifia de copie retouchée. En réalité, le format en tondo, le réagencement des drapés et l’ajout de nombreux détails ont considérablement amélioré l’œuvre, qui n’est plus une réplique mais une deuxième version. Anne d’Autriche la vit chez son amie et ne s’y trompa pas : elle la voulut à son tour et la marquise se retrouva avec une réplique de cette version. Après la mort d’Anne d’Autriche, le tondo original est peut-être passé entre les mains des Colbert, puis a été acheté par Antoine Paillet, garde des tableaux du roi et revendu en 1695 par ce dernier à Louis XIV. Resté dans le domaine public, le tableau s’est retrouvé au Louvre, sauf que le Musée a décidé de le déposer à l’abbaye de Melleray en 1820 où il est resté jusqu’en 2007, décision fatale car alors le Louvre n’a récupéré qu’une loque ! C’est sans doute la réplique de la marquise, morte en 1705, qui était en main privée au XIXe et a été vendue à Drouot le 12 novembre 2015. Nous avons suivi les conseils de l’expert, mais ne l’avons pas eue car Nicolas avait précisé qu’il demandait à l’acheteur de la prêter pour l’expo du Louvre-Lens, ce qui a enflammé les esprits. Mais l’original de la reine, qui ne pouvait être restauré à temps, a trop souffert pour égaler après restauration la réplique que nous avons manquée.
Il faut ajouter qu’Anne d’Autriche a demandé à Le Brun d’autres répliques de l’œuvre en divers formats pour les distribuer à des couvents parisiens (c’est sans doute l’une d’entre elles qui est à Saint-Gervais), et qu’elle s’apprêtait à lui commander le Crucifix aux anges pour son oratoire du Louvre. Anne Le Pas de Sécheval la range parmi les principaux clients et soutiens du peintre aux côtés du chancelier Séguier et de l’abbé Le Camus (cat. Louvre-Lens, p. 20). Yannick Nexon, qui a beaucoup écrit sur les collections de Séguier, a étudié le caractère dévot du chancelier, mais c’est peu de chose à côté de celui de la reine qui a multiplié les dons aux couvents et consacré tant d’énergie à son grand œuvre, le Val-de-Grâce. Comme le prouve l’épisode du Christ au jardin des Oliviers, elle a réclamé nombre de répliques des peintures de Le Brun et c’est beaucoup plus à elle qu’on pense qu’à Séguier pour commander une version portative de la Pieta de 1639, car sa dévotion atteint une sorte de climax en 1638-39 avec ses prières exaucées et la naissance du dauphin. Tout comme le Vœu de Louis XIII, la commande royale pour les oratoires de Saint-Germain s’inscrit dans ce contexte. Et si c’est bien elle qui a reçu ce cuivre, il lui aura été très utile lors de ses pérégrinations plus ou moins forcées pendant la Fronde !
En 2022, deux dons ont été faits au musée des Beaux-Arts d'Orléans.
Noël Hallé (1711-1781), Une Savoyarde et son enfant
Dans la vente Artcurial du 9 novembre 2022 où la fondation avait acheté deux lots pour le Louvre, il y avait aussi un tableau de Noël Hallé (1711-1781), membre de l’Académie royale de peinture et un temps directeur de l’Académie de France à Rome. Il s’était spécialisé dans les sujets mythologiques et religieux, mais ne dédaignait pas de brosser des scènes du peuple. C’est le cas de ce portrait d’une Savoyarde (c’est le titre de l’œuvre), représentée tenant sur ses genoux son bébé dans un berceau en bois. Les Savoyards étaient alors nombreux à Paris où ils occupaient des petits métiers, pas seulement celui de ramoneur ! Hallé avait déjà auparavant utilisé ce thème dans un tableau intitulé Une Savoyarde et ses deux enfants, mais selon la spécialiste du peintre, Nicole Willk-Brocard, il s’agirait en fait ici de l’épouse du peintre, Geneviève Lorry, et de leur fils Jean-Noël, futur médecin célèbre, né en 1755. La toile est signée et datée 1756. Son succès a incité Noël Hallé à en peindre une réplique l’année suivante avec une présentation un peu moins dépouillée : présence d’un chien sur le côté et d’un drap en arrière-plan ; mais la main ouverte au lieu de tenir le berceau et la présence de ce qui ressemble à une sébile à ses pieds donnent à cette deuxième version une signification bien différente, ce qui fait douter qu’il puisse s’agir de la femme du peintre. On ne sait laquelle des deux a figuré au salon de 1757.
Ce n’était pas la première fois qu’Artcurial proposait ce tableau et son estimation avait entre-temps été baissée substantiellement, de sorte que nous avons pu l’acheter à un prix très attractif. Curieusement, le musée d’Orléans avait aussi repéré l’œuvre et cherchait un mécène, de sorte que notre proposition a été bien reçue. La direction du musée voulait étoffer sa présentation de scènes de genre du XVIIIe autant que d’œuvres de Hallé autres que ses grands sujets religieux.
Palma le Jeune (c1548-1628), La Naissance de la Vierge
Le conservateur du musée des Beaux-Arts nous a appelés à l’aide en février 2022 sur suggestion du département des Peintures du Louvre pour un très grand tableau (3m 19 de haut) de Palma le Jeune (c1548-1628), La Naissance de la Vierge, une composition au dessin raffiné et élégant où sainte Anne est entourée de dix personnages sans compter les angelots. On reconnaît derrière elle son époux saint Joachim.
Palma le Jeune (Palma il Giovane), petit-neveu de Palma le Vieux, est né et mort à Venise, et y a fait toute sa carrière. Il a d’abord subi la forte influence du Titien avant d’élaborer son style propre qui s’inscrit dans le courant maniériste. Il a reçu de nombreuses commandes d’églises de Venise et de la région, d’où l’importance de la peinture religieuse dans son œuvre. Il a aussi participé à de grands chantiers publics, au Palais des Doges notamment. Il y a travaillé aux côtés de ses aînés Véronèse et Tintoret ; comme son style est proche de celui de ce dernier, il est quelquefois difficile de l’en distinguer.
Les grands formats (plus de 2m 50 de haut) réalisés par lui sont rares à l’étranger. Outre celui d’Orléans, on en compte six : deux à l’Ermitage, un au musée Magnin (Dijon), au musée Fabre (Montpellier), au MBA de Lyon et au MFA de Boston. La notice de ce dernier explique bien le processus par lequel sont passées les églises pour se séparer de leurs tableaux : elles ont été fermées et déconsacrées, puis les collections dispersées. Il y a eu aussi des saisies révolutionnaires (le tableau du musée Fabre).
Les deux spécialistes de l’artiste, Stefania Mason et Maria Aresin, ont authentifié sans hésitation le tableau, dont la qualité tranche avec celle des très nombreuses œuvres généreusement attribuées à Palma le Jeune par les experts internationaux. Outre le dessin, la touche révèle toute la brillance et la souplesse du pinceau de l’artiste. D’après elles, il pourrait provenir de l’église Sant’Apollinare, un lieu de culte vénitien fermé au début du XIXe siècle, puis déconsacré. En effet, leur recensement des œuvres de Palma le Jeune sur le thème de la naissance de la Vierge mentionne au moins cinq tableaux, trois toujours en place dans des églises de Vénétie, un dans un musée américain à Greenville (Caroline du Sud) et le nôtre, dont on sait qu’il a été anciennement dans des collections hongroises, sans doute au temps de la Venise autrichienne. Reste à déterminer si c’est notre tableau ou celui de Greenville qui vient de l’église Sant’Apollinare.