Dons au musée des Arts décoratifs

Fondation La Marck

Une paire de coupes en carton laqué rouge

 

La vente du 3 juin 2022 de Coutau-Bégarie était très attendue. On y retrouvait en particulier nombre de souvenirs du baron de Breteuil, ambassadeur, puis ministre de Louis XVI et devenu en 1790 son représentant officieux auprès des cours européennes. Une vieille connaissance, puisque c’était à lui qu’avait été donnée la table de Teschen, passée par testament avec ses archives politiques aux représentants de la branche aînée. Ses descendants directs Matignon, Montmorency, Talleyrand-Périgord, avaient gardé ses archives privées et nombre d’objets de valeur qu’ils ont mis en vente à cette occasion, mais il y avait aussi d’autres provenances.

© Les Arts Décoratifs / photo : Christophe Dellière

 

Nous avions remarqué dans la vente deux coupes dont la riche monture en bronze doré rocaille était d’une rare élégance, presque aérienne. Normalement, ce sont des porcelaines de Chine qui sont montées de la sorte. Or ici, il s’agit de coupes en carton recouvert d’une laque à l’imitation de la Chine, d’une belle teinte rouge. Cette technique a été popularisée par les frères Martin, opérant à Paris vers le milieu du XVIIIe siècle et créateurs du fameux vernis Martin. Ils ont surtout fabriqué des panneaux destinés à des meubles, des boiseries ou des carrosses. Cette technique a aussi été utilisée pour des pièces de forme. On trouve ainsi des récipients en métal (seaux à bouteilles, rafraichissoirs à verres, jardinières, théières, aiguières, etc.) peints par d’autres vernisseurs comme les artisans de la Petite Pologne, actifs vers 1770, ou de la manufacture de la veuve Besse ; on comprend que les récipients destinés à des liquides devaient être imperméables. On trouve aussi des boites en bois recouvert de vernis Martin, notamment des boites de toilette. D’autres pièces de forme pouvaient avoir un support en carton, il s’agit des tabatières ou des bonbonnières, dont l’avantage était la légèreté et dont l’inventeur fut Guillaume Martin. Par contre, le support de carton pour des imitations de porcelaine de Chine en vases montés en faisait des objets de pure décoration où il n’était pas question de mettre des fleurs. Beaucoup de ces pièces relativement fragiles ont pu être par la suite méprisées en raison du support, de leur emploi restreint et de leur qualité de copie.

 

Connaissant l’intérêt du musée des Arts décoratifs pour ces productions, nous leur avons proposé les coupes. Ils avaient en effet présenté en 2014 une remarquable exposition : Les Secrets de la laque française, le vernis Martin, réalisée en collaboration avec le Lackkunst Museum de Münster. La commissaire de l’exposition était Anne Forray-Carlier, en 2022 directrice adjointe du musée. Elle s’était appuyée sur les collections du musée Nissim de Camondo, qui dépend des Arts déco et comprend plusieurs exemples de vernis Martin, mais seulement une paire de vases montés en carton laqué bleuté à l’imitation du céladon, ce qui donne une idée de l’extrême rareté de ces coupes. Gageons que les possesseurs des siècles suivants n’ont pas été motivés à conserver soigneusement ces témoignages de l’artisanat du XVIIIe siècle, quand ils ont découvert que ces objets étaient en carton !

 

Dans le catalogue de la vente, il était émis l’hypothèse que ces coupes pouvaient avoir été fabriquées par Étienne-Simon Martin, dont l’inventaire après décès comportait une trentaine de vases en laque rouge. Mais dans le catalogue de l’exposition La Fabrique de l’extravagance tenue à Chantilly en 2020, il était écrit que le duc de Bourbon avait fait aménager dans son château un laboratoire de vernis de la Chine. Cet atelier a fonctionné, on en a la preuve, et on peut supposer que nombre des pièces en laque autre que de Chine ou du Japon qui figurent dans les inventaires du château en proviennent. Or le vernis rouge domine, souvent accompagné d’ornements en plomb doré, et les fonds sont bien en carton. Ne devions-nous pas les offrir au musée Condé ? Son nouveau directeur, Mathieu Deldicque, a pris la chose avec philosophie : Les coupes sont en bonne garde au musée des Arts décoratifs et nous pourrons les emprunter à l’occasion. De son côté, Anne Forray-Carlier estime que l’absence de marques, de cachets, de tout signe distinctif n’autorisera jamais de certitude. La seule que l’on ait, c’est la rareté de ces pièces.



             

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